L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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LE MASQUE MORTUAIRE DIT "ARNOTT"


Avant la lecture de cet article, il convient de lire au préalable l'historique du masque mortuaire de Napoléon sur ce site en cliquant ici et le chapitre "Burton" de l'ouvrage L'autre Sainte-Hélène, pp. 355-374.

Le 14 avril 1855 était publiée dans la revue The Illustrated London News la reproduction d'un masque mortuaire jusqu'alors inconnu de Napoléon. Selon cet article, le masque avait été réalisé par le docteur Arnott avec de la cire. Il était montré à Londres par un ancien officier bavarois, le capitaine Winneberger, en vue de lui trouver un acquéreur... Pour le moins, les choses étaient clairement dites ! Ainsi, en 1855, l'histoire invraisemblable du masque mortuaire dit "Arnott" venait de naître.
The Illustrated London News
La revue The Illustrated London News

Cet article présente le parcours de ce masque, et la critique que l'on peut lui opposer.

La prise du masque en 1821
Le seul moment où le docteur Arnott s'était trouvé de garde auprès de la dépouille de Napoléon, pour réaliser un tel masque, fut la nuit du 5 au 6 mai 1821. Le 6 mai, l'autopsie fut pratiquée en début d'après-midi et Arnott fut alors remplacé par son assistant-chirurgien au 20è régiment, le docteur Rutledge. Arnott aurait donc dû pouvoir prendre ce masque durant cette nuit-là, et forcément de façon secrète puisqu'aucun mémorialiste ne le mentionna. Est-ce vraisemblable?
Depuis le décès survenu un peu avant 18H, la dépouille de Napoléon avait été constamment veillée par l'abbé Vignali ainsi que les serviteurs. Et personne ne la toucha jusqu'à minuit. C'est alors que les serviteurs, dont Ali, la lavèrent, ainsi que le lit sur lequel elle reposait dans le salon, préparèrent la pièce où devait être pratiquée l'autopsie.
Le docteur Archibald Arnott
Le docteur Archibald Arnott

Au même moment, à minuit, Andrew Darling était arrivé à Longwood avec plusieurs ouvriers pour préparer la petite chambre à coucher de Napoléon que l'on avait choisi pour être transformée en chambre funèbre (voir pièce 2 dans le plan de Longwood). Montholon devait forcèment être lui aussi réveillé, une partie de cette nuit-là, afin de pouvoir donner les directives à Darling sur la façon d'agencer cette pièce qui devait recueillir la dépouille de Napoléon en grande tenue, et permettre aux visiteurs de lui rendre un dernier hommage. Les travailleurs firent des allers et venues dans l'habitation pour déplacer les meubles, placer les tentures noires, et ainsi de suite. Ils cessèrent le travail à 3 heures et demie du matin, pour prendre un peu de repos. Darling, lui, ne put trouver le sommeil et tenta à plusieurs reprises de voir la dépouille du défunt dans le salon, qui se trouvait à deux portes à côté (voir mêmplan de Longwood, la pièce 7). Mais on lui refusa cette visite nocturne car les autorités de l'île devaient d'abord venir constater le décès (le gouverneur Hudson Lowe allait arriver à 6 heures du matin avec son état-major et le commissaire français Montchenu). Darling persista tout de même et regarda à l'intérieur du salon à travers les fenêtres ouvertes donnant sur le jardin. C'était chose aisée car les fenêtres du salon donnaient sur le même petit jardin que la chambre à coucher de Napoléon. Darling raconta ces détails dans un rapport que l'on publia à Ste-Hélène en 1851, et à Londres en 1915 (voir extraits et notes dans L'autre Sainte-Hélène pp. 340-342).
On peut donc difficilement admettre que le docteur Arnott ait pu réquisionner une très grande quantité de bougies pour obtenir suffisamment de cire, sans que cette demande ne suscita les questions, et qu'il ait pu réaliser un masque mortuaire en secret, sans avoir été surpris une seule fois par Montholon, Vignali, Marchand ou tout autre serviteur affairé à préparer le salon, voire par Darling qui cherchait à jeter un oeil par les fenêtres !

Le roi du Würtemberg en 1825
Selon certains défenseurs de ce masque, le docteur aurait ramené ce masque en Angleterre en 1822 lorsqu'il quitta l'île de Ste-Hélène. Il l'aurait alors vendu au roi du Würtemberg, Guillaume Ier, beau-frère de Jérôme Bonaparte, pour 3.000 livres sterling. Le masque aurait ensuite été volé dans son palais royal en 1825. Tout ces détails semblent avoir été racontés sans de preuves solides, afin de démontrer la valeur de l'objet, en vue, sans doute, d'élever son prix pour de potentiels acquéreurs.
Guillaume Ier roi du Würtemberg
Guillaume Ier, roi du Würtemberg

Tout d'abord, constatons que le montant de cette somme est très élevé pour cette époque d'Arnott. Il est à comparer, par exemple, au budget annuel de la captivité de Napoléon à Longwood qui s'élevait à 12.000 livres sterling, montant aussi égal au traitement annuel élevé du gouverneur Hudson Lowe.  On peut aussi le comparer aux 6.000 livres sterling que, selon Antommarchi, on lui aurait proposé pour acheter "son" masque à Londres en 1821. Là aussi, dans le cas d'Antommarchi, on peut mettre en doute ses dires, simplement bons à faire croire à sa droiture quant au fait qu'il n'avait pas cédé aux pressions de vendre la relique de l'illustre Napoléon.
Concernant Arnott, un simple chirurgien de régiment, on a peine à croire qu'il ait eu l'occasion de rencontrer le roi du Würtemberg, et que ce détail n'ait jamais été mentionné ni dans sa biographie ni par sa famille.
Mais l'argument qui infirme cette histoire abracadabrante est que le docteur Arnott, après l'île de Ste-Hélène où il demeura jusqu'en 1822, fut envoyé en service à Bombay en Inde (cf. The House of Arnot, p. 121) ! Un certain nombre d'officiers du 20è régiment moururent en Inde à cette époque, à cause de l'épidémie de choléra qui y sévissait. Ce fut le cas de Lutyens, l'officier d'ordonnance à Longwood, qui mourut en 1830, et du docteur Rutledge qui mourut en 1833. En 1826, Arnott était âgé de 54 ans. Il prit alors sa retraite du service médical des armées et retourna en Angleterre. L'histoire ne le dit pas mais sa traversée de retour l'amena sûrement à repasser par l'île de Ste-Hélène. Il arriva en Angleterre et s'installa de suite dans son pays natal, en Ecosse. Il n'aurait donc pas pu vendre ce masque en Angleterre, ou en Europe, avant 1826 ! Arnott ne se maria jamais, mais vécut sous le même toit que les familles de sa soeur et de son frère, dans une maison qu'il acheta en 1830, Kirkconnel Hall (qui est aujourd'hui devenu un hôtel). C'est là qu'il mourut le 6 juillet 1855 à l'âge de 84 ans.
Kirkconnel Hall
Kirkconnel Hall, la maison où Arnott vécut jusqu'en 1855

L'entrée en scène à Londres en 1855
Le masque mortuaire, supposé volé en 1825, fit ensuite son apparition à Londres en 1855 lorsque le capitaine Winneberger parvint à le faire mentionner dans une revue populaire datée du 14 avril. Le résultat escompté fut à la hauteur des espérances car, depuis, le masque a acquis une certaine notoriété. Mais le revers de la médaille fut que l'article, illustré avec la photo dudit masque, ne passa pas non plus inaperçu de la famille du docteur Arnott qui, quoiqu'alors très âgé (il allait mourir quelques mois plus tard) était encore en vie en avril 1855. Il put renier une quelconque association avec le masque qui lui était attribué par cette revue ! (cf. L'autre Sainte-Hélène, page 373)

La collection de Napoléon III en 1860
Après cette apparition à Londres, Winneberger aurait finalement trouvé acheteur en vendant le masque à Jérôme Bonaparte qui l'aurait légué à sa mort, en 1860, à Napoléon III.
Mais, selon une autre source plus officielle (cf. Masque de l'Empereur Napoléon Ier moulé sur nature, en cire massive, dans la nuit du 5 au 6 mai 1821 par le docteur Arnot, etc,1860) le masque de type Arnott qui aurait fait partie de la collection impériale de Napoléon III provenait en fait d'un autre capitaine bavarois, un certain Pierre de Hartz, qui l'aurait cédé en 1833 à un certain Bamberg (cf. L'affaire des masques mortuaires de Napoléon, Eléments bibliographiques commentés, Chantal Lheureux-Prévot, Napoleonica, La Revue No.3, p. 15). Dans cette version des faits, il n'y a plus de roi du Würtemberg, mais on reste tout de même sur une piste bavaroise.
Dans tous les cas, après le désastre de Sedan, et l'incendie du palais des Tuileries lors de la Commune de 1871, on perdit de nouveau la trace de ce masque en cire, soit qu'il ait été volé lors de la chute du Second Empire ou qu'il ait été perdu dans l'incendie en question.
Le masque Arnott - ILS 1855
Le masque mortuaire, attribué au docteur Arnott, en 1855

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