L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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LE MASQUE MORTUAIRE DIT "ARNOTT"
(suite)

La preuve à tout prix ?
Après la parution de son ouvrage en 1933, Mme Pardee a traduit la lettre de l'enseigne Duncan Darroch pour une revue historique (cf. Revue des Etudes Napoléoniennes, volume 40, janvier-juin 1935). Ce texte, témoignage incontournable concernant les préparatifs autour des funérailles de Napoléon, avait été publié dans un ouvrage en anglais de 1915 (cf. Letters of Engelbert Lutyens etc, de sir Lees Knowles, ouvrage dans lequel se trouve la lettre de Darroch à sa mère). Mais, dans sa traduction, Mme Pardee a un peu truqué un passage anodin en apparence pour, semble-t-il, éviter de contredire sa théorie sur le masque Arnott. Le passage du texte, en anglais, rapporte ce que Darroch pouvait décrire dans l'après-midi du 6 mai 1821, après l'autopsie, alors que Napoléon était étendu en grand uniforme sur son lit en fer:
His countenance was serene and placid; it had, of course, fallen in.
Ce qui devrait être traduit par:
Son visage était serein et placide; il s'était, bien entendu, creusé (voire émacié).

Ce témoignage est d'ailleurs conforme avec beaucoup d'autres qui purent constater le changement dans l'aspect de Napoléon après l'autopsie (cf. les témoignages de Bertrand, Vidal, et de Gorrequer, cités dans L'autre Sainte-Hélène, p. 355). Or, dans le masque Antommarchi, du moins certains des modèles en plâtre qui paraissent plus authentiques sur une partie du visage (dont le masque dit Antommarchi-Malmaison), on peut constater les joues creusées et l'aspect plus cadavérique auquel on pouvait s'attendre près de 48 heures après la mort (la prise du masque mortuaire ayant été faite en fin de journée du 7 mai).

Mais Mme Pardee a traduit cette phrase ainsi:
Sa figure était sereine et placide, elle avait certes changé.

Cette traduction escamote le texte véritable car elle ne précise pas quel fut ce "changement" alors que le texte anglais, lui, le détaille. Et, comme pour enfoncer le clou, Mme Pardee ajoute, dans un commentaire de sa traduction, que cette figure "sereine et placide" n'est pas celle du masque Antommarchi... Avait-elle oublié qu'entre le témoignage de Darroch dans l'après-midi du 6 mai, et la prise du masque en fin de journée du 7 mai, environ 24 heures allaient encore s'écouler, et creuser davantage les traits de Napoléon pour les rendre encore plus cadavériques et retirant toute allure "sereine et placide" précédente?

D'ailleurs, il existe une traduction postérieure du texte de Darroch, celle du baron de Veauce en 1957 (cf. L'affaire du masque mortuaire de Napoléon, appendice B, pp.188-200). Celle-ci dit, plus correctement:
Sa physionomie était sereine et placide; elle s'était creusée, bien entendu.
Cette traduction est presque conforme au texte sauf que l'on ne peut imaginer que Darroch ait pu penser à autre chose que le visage lorsqu'il a employé le terme anglais "countenance", car aucune autre partie du corps, hormis les mains, n'était visible.

Il est difficile de croire que Mme Pardee ait fait une simple erreur de traduction car "fallen" ne signifie vraiment pas "changé". Force est plutôt de croire que la traduction a été truquée, et est donc à mettre sur le compte d'un acharnement possible à prouver l'authenticité du masque Arnott, quitte à tordre un peu le cou aux témoignages contrariant cette théorie.

L'avis des experts
Selon Watson, un des premiers historiens à s'être sérieusement penché sur les masques mortuaires de Napoléon (cf. The story of Napoleon's deathmask, 1915), le masque Arnott n'est rien d'autre qu'une contrefaçon et pas même le masque d'un vrai mort.
Le livre de Watson 1915
Le livre de Watson, très critique envers le masque Arnott

En considérant que ce masque avait connu une origine allemande, avec le capitaine Winneberger de l'armée bavaroise, Watson se lança dans une diatribe anti-germanique contre les Bavarois, "buveurs de bière", etc. (rappelons qu'à la sortie de son livre en 1915, l'Europe était en guerre contre l'Allemagne). Pour Watson, ce masque Arnott a eu pour origine un faussaire allemand qui aurait rendu une image idéalisée, aux traits germaniques, de Napoléon. Et il déplora qu'un historien sérieux, comme le professeur Seeley de l'université de Cambridge, pût tomber dans le panneau en se faisant l'écho de l'existence de ce masque dans son ouvrage à caractère académique (cf. A short history of Napoleon the First, 1890). Il y a peut-être du vrai dans cette hypothèse germanique de Watson car l'inscription "franglaise" tend à montrer que le faussaire n'était probablement ni Anglais ni Français !
Selon le baron de Veauce (cf. L'affaire du masque mortuaire de Napoléon, 1957), il y aurait eu au moins trois exemplaires du masque de type Arnott: le premier du capitaine bavarois Winneberger, le second de Pardee en provenance d'un Baron allemand, et aussi un troisième ayant appartenu à deux collectionneurs allemands de Munich. Selon lui, le masque Winneberger de 1855 est celui qui aurait disparu dans l'incendie des Tuileries en 1871 mais que d'autres copies existaient sur le marché, dont celle achetée par Pardee, qui n'est donc pas un exemplaire unique. Cette constatation de multiplicité renforce l'hypothèse d'un faussaire, et affaiblit la thèse de Mme Pardee.
Napoléon caricature allemande
Napoléon, l'esprit du Mal, caricature allemande du XIXè siècle

Conclusion
A l'évidence, sur la base de ces considérations, dont le rejet du docteur Arnott lui-même comme ayant été l'auteur d'un quelconque masque mortuaire de Napoléon, le masque dit "Arnott" est un faux.
On peut tenter d'imaginer l'origine de l'escroquerie, et croire que les opinions des deux experts que furent Watson et Veauce aient une part de vrai. L'origine du masque ne pouvant être ni anglophone ni francophone, il faudrait peut-être, comme Watson l'a fait, chercher une origine Outre-Rhin. D'autant que, comme le constate Veauce, d'autres copies semblent avoir trouvé leur source dans l'Allemagne du XIXè siècle, avant qu'une copie d'un officier bavarois ne parvînt à Londres en 1855.
Alors une possibilité serait que le masque Arnott ait été le fruit d'un travail de laboratoire allemand pour tenter de montrer comment le crâne de Napoléon aurait dû être selon les théories phrénologiques de Gall.
Une autre possibilité, plus cocasse, serait que ce masque ait été le fruit de l'imagination d'un artiste qui aurait voulu "germaniser" la tête de Napoléon, en lui donnant l'aspect de Frankestein, et y aurait assez bien réussi ! Car rappelons que l'ouvrage de Mary Shelley, paru en 1818 en Angleterre, avait fait grand bruit et avait connu des traductions en Europe, dont une première française dès 1821. Mais surtout le titre était Frankestein or The Modern Promotheus...
Frankestein ou le Prométhée Moderne
Frankestein ou le Prométhée Moderne, de Mary Shelley

Quel autre Promothée Moderne existait dans les conversations de cette époque sinon Napoléon, mort enchaîné à son "rocher" de Sainte-Hélène et dévoré à petit feu par l'oligarchie anglaise qu'il accusa dans son testament? En Allemagne, Napoléon était souvent comparé à un monstre jacobin sanguinaire qui avait mis l'Europe à feu et à sang.
Enfin, qui sait si Jack Pierce n'a pas été quelque peu inspiré par ce masque Arnott pour créer le maquillage du monstre de Frankestein, brillamment interprété par Boris Karloff en 1931? La petite histoire dit que Pierce avait été inspiré par le film allemand de 1920, "Le Golem", de Paul Wegener. Mais le maquillage de Karloff ressemblait plus au masque Arnott qu'à l'acteur choisi par Wegener. Mais, en 1931, il eut sans doute été très controversé, et anti-commercial pour les réalisateurs du film, de mentionner qu'un masque mortuaire de Napoléon avait servi d'inspiration pour la représentation du monstre !
Napoléon-Frankestein
Le masque Arnott en guise de Promothée-Frankestein Napoléon?

Karloff-Frankestein
Karloff dans le rôle du monstre de Frankestein

En final, avec le masque Arnott, nous ne serions donc pas forcément en face de l'oeuvre d'un simple faussaire, car un telle intention aurait sans doute eu plus de succès pécunier à copier un quelconque masque Antommarchi de la souscription de 1833 et à écouler discrètement des exemplaires sur le marché des collectionneurs, comme de nombreuses copies du type Antommarchi, non signées par ce dernier, existent aujourd'hui. Plutôt, une autre motivation a dû inspirer le créateur de ce masque, ce qui expliquerait son aspect si différent et son nombre très restreint de copies.

Albert Benhamou
Mars 2011
Prométhée enchaîné à son rocher
Prométhée enchaîné à son rocher

Note
Cet article a suscité des commentaires de la part de participants du Forum Napoléon Ier. Pour en prendre connaissance, allez à la page suivante.






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