L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
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BOUTON DE ROSE, ou ROSE-BUD


"Bouton de Rose"... Quelle jeune femme, belle sans doute, a pu acquérir un surnom aussi poétique de la part des Français captifs à Sainte-Hélène? Et pourquoi est-elle ensuite presque tombée dans l'oubli de l'Histoire? En effet, peu d'ouvrages la mentionnent, et quand ils le font, des erreurs se sont souvent glissées dans leurs explications car les faits sont peu nombreux et restent assez confus.

Pour commencer, consultons le célèbre Who's Who d'Arnold Chaplin. La belle a eu l'honneur d'une entrée qui a assuré sa renommée:

Miss Knipe, "Le Bouton de Rose". Fille d'un fermier, et très admirée par Napoléon et ses compagnons. Elle se maria avec un M. Hamilton en 1820 et quitta l'île.

Cette entrée est cependant presque entièrement erronée. Car elle n'était pas la fille d'un fermier et n'était pas admirée par Napoléon. De plus, elle ne quitta pas l'île !

Du côté des mémorialistes français, il y a peu de choses mais elles sont suffisantes à nous mettre sur la piste. Tout d'abord Saint-Denis, dit le Mameluck Ali, a écrit dans ses Souvenirs:

Dans les premiers temps, miss Rose-bud venait quelquefois à Longwood. Elle était amie des demoiselles Balcombe. Cette jeune personne était belle femme et extrêmement fraîche. C'était un Français qui lui avait donné le nom de Rose-bud (bouton de rose).

Ali a presque raison sauf que Bouton de Rose, que certains appelaient plutôt Rose-bud, n'était pas vraiment amie avec les filles Balcombe (adolescentes un peu trop gâtées) mais avec une fille Porteous lorsqu'elle rencontra les Français. D'ailleurs Ali, qui est plutôt précis dans ses écrits, parle correctement d'une "belle femme" et non d'une "jolie fille". Mais il n'aura pas été bon juge de l'amitié qu'il présumait entre Bouton de Rose et les deux "péronnelles", comme Gourgaud les appelait. Et, sans doute, il se trompait sur l'âge de la "belle femme" qui était alors âgée de 17 ans environ.

Quant à Las Cases, il la mentionne à peine dans son Mémorial, juste assez pour confirmer ce surnom qui lui avait été donné pour la "fraîcheur" et la "beauté" de son teint (texte à la date du 9 septembre 1815).

Dans ses Souvenirs, la comtesse de Montholon est plus précise et elle pouvait l'être compte tenu qu'elle logeait avec sa famille dans la maison Porteous, qu'elle surnommait "maison Portions" du fait de l'exiguïté des chambres:

La fille de la maison, miss Portions, nous présenta une de ses amies, miss Kneips (sic), la plus jolie personne que l'on puisse voir : grande, blonde, d'une belle taille, figure polonaise, sa fraîcheur, sa beauté l'avaient fait nommer à juste titre "Bouton de Rose". On ne l'appelait pas autrement. Sa mère était veuve d'un officier de la Compagnie et vivait là de quelque modique pension.


La maison Porteous
La maison Porteous, dite "maison Portions"

Il y avait donc bien un lien d'amitié entre les deux jeunes femmes, Porteous et Knipe. Et, comme madame de Montholon parle d'une grande personne de belle taille, il s'agissait certainement d'une miss qui paraissait sans doute plus âgée qu'elle ne l'était, mais qui n'était tout de même pas une fillette de l'âge de Betsy Balcombe, par exemple. De plus, "Bouton de Rose", qui avait gagné son surnom grâce à la fraîcheur de son teint, rappelait... une "figure polonaise"... On peut songer à Marie Walewska, célèbre elle aussi pour sa "fraîcheur", que l'on avait nommée "l'épouse polonaise" de Napoléon !

Marie Walewska
Un autre "bouton de rose": Marie Walewska

Un autre détail a son importance: la mère de "Bouton de Rose" était veuve d'un officier... À l'inverse de ce qu'écrira Chaplin, la belle était  fille d'officier (défunt) et non fille de fermier. Les belles demoiselles étaient fort prisées dans une île à  majorité d'hommes, du fait des contingents militaires et navals envoyés sur place assurer la détention du prisonnier de l’Europe et de ses compagnons d'infortune. Mais elle était sans doute pauvre, notamment parce qu'elle était orpheline de père, et n'était donc pas un bon "parti" à marier. Une telle beauté a-t-elle pu cependant échapper à un célibataire comme Gourgaud? Bien sûr que non. Il a mentionné "Bouton de Rose" dans son Journal, et a dansé deux fois avec elle lors du bal donné par l'amiral Cockburn le 20 novembre 1815:

20 novembre – Bal chez l'Amiral. Tous les Balcombe viennent dîner chez nous. À 9 heures, nous arrivons au bal; l'Amiral me demande si, en me donnant une danseuse, je danserai. Je réponds que oui. Un moment après il m'annonce que je danserai la première contredanse avec Melle Balcombe (note: Jane ou Jenny, la fille ainée), la seconde avec Betsy et la troisième avec "Bouton de Rose". Mon intention était de ne pas danser avec les Balcombe, me voilà pris.

Mais, à cette époque, Gourgaud ne s'intéressait pas à "Bouton de Rose" car il rêvait d'une autre belle, Laura Wilks, la fille unique du gouverneur de l'île (avant l'arrivée d'Hudson Lowe en avril 1816), qui était évidemment un meilleur parti aux yeux de Gourgaud.


Miss Laura Wilks
Une autre belle de l'île, Laura Wilks

Gourgaud mentionne "Bouton de Rose" une seconde fois, lors d'un déjeuner à Longwood le dimanche 7 janvier 1816, mais surtout pour dénoncer les manigances de l'entremetteuse supposée, madame de Montholon:

M. Porteous amène Bouton de Rose, Mareya et leur mère pour déjeuner. Mme de Montholon, qui croit que Bouton de Rose va devenir la maîtresse de Sa Majesté, la cajole beaucoup, la prend sous le bras; l'Empereur sort dans le jardin, les rencontre, parle botanique à M. Porteous, et affirme que Mme Walewska est beaucoup plus jolie que Bouton de Rose. Il m'ordonne de faire atteler la calèche pour promener ces dames, que j'accompagne. A leur retour, Sa Majesté les salue, et nous remarquons que Mme de Montholon n'est plus la même pour Bouton de Rose, depuis qu'elle entrevoit que Sa Majesté ne la trouve plus si jolie. Nos visiteuses nous quittent à trois heures pour aller visiter le camp.

Quelques explications s'imposent. Madame de Montholon, depuis son séjour à la maison "Portions", avait remarqué cette belle jeune femme au teint frais qui lui rappelait une beauté polonaise. Elle s'était probablement mise en tête de la présenter à Napoléon pour lui procurer une maîtresse, en pensant sans doute que sa vue lui rappelerait son "épouse" polonaise. Car, sinon, il aurait fallu qu'une des femmes françaises de Longwood remplît ce rôle, ce qui ne manqua pas d'arriver à la comtesse de Montholon elle-même, une année plus tard, lorsque Napoléon commença à lui faire des avances lors de promenades en calèche. Elle aurait donc convaincu Napoléon de recevoir le couple Porteous à déjeuner, ainsi que les deux jeunes femmes qu'elle savait être des amies. Gourgaud, connaissant mal les Porteous (car il n'avait pas logé chez eux mais dans une tente plantée en face du pavillon où logeait Napoléon aux Briars) s'est en fait trompé en pensant que l'épouse Porteous était leur mère, ou que les deux jeunes femmes étaient soeurs. Elles avaient simplement une parenté par alliance. En effet, celle qui accompagnait Bouton de Rose, s'appelait Mary, que l'on surnommait sans doute Maria (et non Mareya comme l'écrit Gourgaud) pour ne pas la confondre avec l'épouse Porteous, elle aussi prénommée Mary, était la fille de Porteous, par un premier mariage. Quant à Mme Porteous, née Knipe, elle était cousine germaine de "Bouton de Rose" et âgée d'une quinzaine d'années tout au plus.




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