
SIR THOMAS READE La légende "noire" de Sainte-Hélène LE "FOUCHÉ" DE SAINTE-HÉLÈNE Nommé pour la mission de gouverneur militaire et civil de Sainte-Hélène, et gardien du prisonnier Napoléon Bonaparte, Sir Hudson Lowe fut autorisé à choisir les officiers qui devaient former son état-major. Ayant pu apprécier le rôle de Sir Thomas Reade à ses côtés à Gênes et à Marseille, il en fit son bras droit pour cette nouvelle mission, la plus délicate de toutes. Le 29 janvier 1816, ils embarquèrent à bord de la frégate Phaéton pour l'île de l'Atlantique Sud et y débarquèrent le 17 avril. Peu après leur arrivée, Sir Thomas Reade fut présenté à Napoléon, avec les autres membres du staff de Sir Hudson Lowe. Napoléon à Sainte-Hélène (par
François Martinet)
Mais les relations entre le prisonnier et son geôlier prirent rapidement une mauvaise tournure. Après un entretien houleux le 18 août 1816, dans les jardins de Longwood, en présence de l'amiral Malcolm, du grand-maréchal Bertrand et de Sir Thomas Reade, Napoléon refusa de recevoir le Gouverneur à nouveau. La charge de communiquer avec le prisonnier fut laissée à Sir Thomas Reade qui, au vu de Napoléon, avait un caractère agréable et ne faisait qu'obéir aux ordres, aussi désagrables fussent-ils. Il déclara en effet au docteur O'Meara: J'écouterai
Sir Thomas Reade sans m'énerver. Il ne fait qu'obéir aux ordres, et
donc, s'il vient avec une mauvaise mission, je ne m'énerverai pas, car il ne fera
qu'obéir à un supérieur. Il a une physionomie agréable et je n'ai
aucune raison de me plaindre de lui. ![]() Argenterie aux armes de Sir
Thomas Reade: provenait-elle de celle de Napoléon à Sainte-Hélène?
Cette époque, entre la fin 1816 et la mi-1817, marqua la bonne entente entre Napoléon et Reade. Sir Thomas Reade savait aussi se rendre généreux et serviable auprès de tout compatriote de passage à Sainte-Hélène. On peut notamment citer le témoignage du lieutenant Clifford, de la Royal Navy, publié dans le Cornhill Magazine en novembre 1899: Avant de continuer, je dois faire observer, pour rendre justice à Sir Thomas Reade, que dans toutes autres occasions nous l'avons trouvé aussi aimable et amical, et obligeant à un degré tel qu'on le voit rarement de la part d'un étranger. Ses manières et sa tenue, qui sont à la fois gentilles et militaires, ont un degré particulier de tendresse et de douceur, ce qui ne peut venir que d'une disposition très agréable, que l'on gagne après une longue relation avec le monde et avec la meilleure société. Sur ce site, nous avons aussi mentionné le témoignage du pasteur Latrobe qui écrivit notamment dans son journal au sujet de Sir Thomas Reade: Comme il [Napoléon] déteste Sir Hudson Lowe, ce dernier ne l'ennuie pas de façon inutile par sa présence, mais lui transmet toutes les annonces par le biais de Sir Thomas Reade dont les bonnes manières, sa disposition à la bonne humeur, et sa connaissance de l'Italien, qu'on dit être préféré au Français par le général Buonaparte dans ses conversations, font de lui un plaisant messager.
Jusqu'en
fin mars 1817, Sir
Thomas Reade se rendait fréquemment en visite chez Bertrand car,
naturellement, le grand-maréchal était le porte-parole du prisonnier
Napoléon et devait donc communiquer avec le bras droit du Gouverneur.
Mais, aussi, Sir Thomas convoitait une des filles Balcombe et
appréciait les conseils de Mme Bertrand dans son entreprise. Le 30 mars
1817, alors qu'il se trouvait chez elle, Napoléon vint en visite chez
les Bertrand et Sir Thomas Reade eut donc un entretien impromptu avec
le prisonnier. Mais
cette bonne entente
tourna mal. En avril 1817, le chef de la police, Thomas Rainsford,
employé par l'Honorable Compagnie des Indes Orientales, mourut. Comme
l'explique Michel Dancoisne-Martineau dans son récent ouvrage, ce fut
une "aubaine pour Sir Hudson" qui en profita pour nommer à ce poste son
propre bras droit, Sir Thomas Reade. Il pouvait ainsi bien mieux
contrôler et enquêter sur toute personne de l'île qui lui paraissait
suspecte de sympathie avec Longwood. Inversement, Longwood commença
forcément à devoir se méfier de Sir Thomas.
Et cette méfiance était partagée par les notables de l'île qui
virent d'un très mauvais oeil la police tomber entre les mains du
Gouverneur, eux qui avaient pu corrompre Rainsford pour mieux le
manipuler à leur gré. Le gouvernement, la justice, la police, le
commerce, etc. tout
avait été entre les mains de quelques notables de l'île avant...
l'arrivée de Napoléon et de son geôlier incorruptible. De part
son nouveau rôle, Sir Thomas allait devoir subir sa "légende", même
contre son gré, pris dans la lutte qu'allait livrer Sir Hudson Lowe
contre les représentants corrompus de la Compagnie. Sir Thomas,
militaire de
carrière, héros de faits d'armes, devait maudire ce mauvais sort qui
l'avait fait devenir le "Fouché" de Sainte-Hélène, craint et haï tout à
la fois. ![]() Durant
les années
de la captivité de Napoléon, les hommes célibataires étaient nombreux
sur l'île, même à Longwood, et ils recherchaient naturellement des
relations avec la gente féminine. À défaut de trouver une fille de
bonne famille à marier, car celles-ci étaient assez rares, ils durent
se rabattre sur les épouses de collègues, ou sur des esclaves. Sir
Thomas Reade, à 34 ans en 1816, était de ceux-ci, d'autant qu'il
s'était de toute façon aliéné auprès des familles de notables locaux.
Aussi il entretint une relation
avec une esclave,
Anne, au service d'un certain Daniel Smith. Elle lui donna un fils,
John, né le 9
juillet 1820. Ce fut à son honneur de le reconnaître comme
son enfant. Issu d'une mère esclave, ce n'était pas chose que d'autres
officiers de rang élevé faisaient. Mais Sir Thomas avait le respect des
obligations religieuses et savait faire face à ses responsabilités.
Malheureusement, l'enfant mourut la même année,
et fut enterré le 19 septembre dans la foi chrétienne. Ceci ne fut pas
fait sans obstacle car l'inflexible
pasteur Richard Boys n'avait pas précédemment enregistré la naissance
du fils
d'une esclave, quoique, en 1820, les enfants nés d'esclaves naissaient
libres, depuis que Sir Hudson Lowe avait aboli l'esclavage dans l'île.
Et donc, sans doute sous la pression de Sir Thomas, Boys finit par baptiser l'enfant, le même jour que son enterrement
! C'est une simple question de clair de lune. Cependant, il
resta fidèle à Sir Hudson Lowe, comme il a toujours été fidèle à
ses amis, tout en sachant ignorer leurs défauts éventuels. Cet
attachement fut mal interprété par certains officiers dont le major
Gorrequer, qui le surnommait "Nincompoop"
dans son journal secret, ce qui signifie à peu près "imbécile" ou
"l'idiot qui se trompe dans son jugement". Par là, Gorrequer lui
reprochait sans doute cet attachement envers un Gouverneur que le major
avait à souffrir jour et nuit, du fait qu'il le forçait à écrire,
dupliquer, copier et recopier
rapport après rapport. On comprend bien que Gorrequer était exaspéré
par Hudson Lowe et, par là même, ne pouvait
comprendre ceux qui semblaient s'attacher à lui. À la
mort de Napoléon, le 5 mai 1821, Sir Thomas Reade fut celui qui
représenta le Gouverneur durant l'autopsie de Napoléon, et il laissa un
rapport non officiel qui apporte des détails intéressants sur le
déroulement de cette opération à Longwood l'après-midi du 6 mai 1821. Évidemment, les
tensions
se relâchèrent entre les compagnons de
l'illustre défunt et les
autorités aussitôt après
que Napoléon fut inhumé le 9 mai. Toutes les restrictions furent levées
et tous s'affairèrent à préparer leur départ de l'île. Dans cette
effervescence, Sir Thomas
Reade s'activa cependant à faire la paix avec
les officiers français. Il n'hésita pas à se rendre chez
Bertrand pour lui dire très ouvertement le rôle des uns et des autres
dans la surveillance autour de Longwood, et notamment que le lieutenant
Basil Jackson avait été sciemment envoyé en Europe par le Gouverneur
pour continuer d'espionner madame de Montholon après avoir réussi à la
courtiser à Longwood. Sir Thomas Reade s'arrangea aussi pour que les
Français soient invités à un dîner de réconciliation à
Plantation House, la demeure du
gouverneur Sir Hudson Lowe. Ils voulurent ainsi signifier que, le
prisonnier étant mort, leur
mission se
terminait et qu'aucune animosité personnelle ne devait subsister entre
des
hommes qui avaient été obligés de s'affronter, à coup de courriers
officiels,
durant les années
de captivité. Mais tout ne devait pas être aussi simple. À
son retour en Angleterre, Sir Hudson Lowe dut subir la vindicte
publique, et Sir Thomas Reade dut souffrir quelque peu
de sa
réputation de policier et d'espion. Cet état de choses étonna
grandement les
officiers français, une fois arrivés à Londres, qui ne comprenaient pas
ce que les Anglais pouvaient
reprocher à Sir Hudson Lowe dans la bonne exécution de ses devoirs. ![]() Maison
de la famille Reade à Congleton: c'est la façade à gauche de la photo,
et l'on voit le bâtiment de l'église anglicane juste à côté
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