LE JOURNAL DU LIEUTENANT OAKLEY DU 20è RÉGIMENT D'INFANTERIE Le lieutenant Robert Carter Oakley était arrivé à Sainte-Hélène avec le 20è régiment d'infanterie, entre le 29 mars et le 8 avril 1819. Réparti tout d'abord dans divers postes à Jamestown, à Francis Plain, Lemon Valley, High Knoll et Ladder Hill, le régiment a ensuite été déplacé au camp de Deadwood pour y remplacer le 66è régiment au début de février 1820. Le 20è régiment sera celui qui sera présent en face de Longwood lors des derniers mois de la vie de Napoléon. Le 20è régiment était sous les ordres du Lt-Colonel Samuel South. Lorsque cet officier quitta l'île en septembre 1820, le major Edward Jackson commanda en son absence, en l'attente d'un remplacement qui ne viendra pas avant la mort de Napoléon. Deux des capitaines de ce régiment seront nommés comme officier d'ordonnance à Longwood: il s'agissait d'abord du capitaine Engelbert Lutyens, qui entra en fonction le 9 février 1821 et restera en place jusque quelques semaines avant la mort de Napoléon, puis du capitaine William Crokat, qui remplaça Lutyens et sera donc présent à Longwood le 5 mai 1821. Lutyens mourra plus tard en 1830 à bord d'un navire qui venait de quitter l'Inde. Il avait eu d'excellents rapports avec les gens de Longwood, et persévérait à écrire, dans ses rapports au Gouverneur Hudson Lowe, que Napoléon semblait très malade, ce qui n'arrêtait pas d'irriter les autorités. Un caractère courageux, pour le moins, et sans doute quelque peu têtu mais pour la bonne cause. ![]() Le capitaine Engelbert Lutyens Quant à Crokat, il eut l'honneur (si on peut parler ainsi) de porter la nouvelle de la mort de Napoléon à Lord Bathurst, qui se répandit ensuite à travers toute l'Europe en juillet 1821. Lord Bathurst garda en souvenir le portefeuille en cuir rouge qui contenait la dépêche en question envoyée par Sir Hudson Lowe, et ce portefeuille est toujours présent dans la collection familiale des Bathurst. Quant au grand Crokat (car il était grand de taille), il poursuivit la carrière militaire et finit avec le grade de général. Il mourut en 1879 et fut sans doute un des derniers témoins de la mort de Napoléon qui était encore en vie à son époque. Buste du général William Crokat D'autres officiers de ce régiment croiseront l'histoire de la captivité de Napoléon. il s'agit des enseignes George Horsley Wood (dont on reparlera dans cet article) et Duncan Darroch (qui fut de service à Longwood du 6 au 9 mai 1821, puis de garde à la tombe de Napoléon, et fut l'auteur d'une lettre à sa mère qui raconte dans de nombreux détails ce qu'il a vu et fait). Le régiment avait pour médecin Archibald Arnott qui, avec Antommarchi, a été le dernier médecin de Napoléon. Son adjoint était George Henry Rutledge qui sera de garde autour de la dépouille de Napoléon depuis l'autopsie du 6 mai jusqu'à la mise en bière le soir du 7 mai (il a lui aussi laissé un rapport très important, et sur l'autopsie elle-même, et sur sa garde). Le lecteur pourra se rapporter à l'ouvrage L'autre Sainte-Hélène, dans les quatres chapitres Arnott, Shortt, Rutledge et Burton pour trouver la traduction des passages les plus importants de tous ces témoignages. Avant d'aborder les écrits d'Oakley, il est utile de rappeler que le 20è régiment s'était vu offrir par Napoléon un ouvrage en anglais qu'il avait lui-même reçu comme présent : il s'agissait des Memoirs of John Duke of Marlborough, par William Coxe, 1818, en trois volumes. Plusieurs ouvrages, qui ont copié l'erreur de Chaplin dans son Who's Who, parlent de ce livre comme intitulé "Life" of Marlborough: alors qu'il s'agissait des "mémoires" éditées par Coxe et publiées en 1818. L'ouvrage avait été envoyé par Lord Robert Spencer, par le biais de Lady Holland qui le remit, avec de nombreux autres ouvrages, à Lord Bathurst en juillet 1820 pour les faire parvenir à Napoléon. Le fameux livre offert par Napoléon au mess des officiers du 20è régiment Napoléon l'offrit au mess des officiers du régiment en remerciement des soins que le médecin de leur régiment, le docteur Arnott, lui prodiguait. C'était compter sans l'opinion du gouverneur Sir Hudson Lowe qui, jugeant que l'ouvrage avait une dédicace mentionnant le titre impérial du prisonnier, fit savoir qu'il n'était pas acceptable pour le mess d'un régiment britannique. Il fit intervenir l'officier supérieur du régiment, Edward Jackson, qui commandait en absence du Lt-Colonel Samuel South, pour ordonner à Lutyens de faire comme le Gouverneur le souhaitait à savoir de retourner l'ouvrage au captif. Mais Lutyens tint tête et s'y refusa en répliquant à son supérieur que, comme il était en poste en tant qu'officier d'ordonnance à Longwood, il ne pouvait recevoir d'ordre de sa part... L'affaire tourna mal et Lutyens, refusant de présenter des excuses, préféra démissionner de son poste plutôt que d'être forcé à faire une telle insulte au mourant Napoléon (ceci se passa au milieu d'avril 1821, quelques semaines donc avant la mort de l'Empereur). Or de quelle dédicace "impériale" s'agissait-il? J'ai eu la possibilité de me rendre à Bury, dans le nord de l'Angleterre, au musée du régiment qui possède encore cet ouvrage offert par Napoléon car, bien entendu, après sa mort de celui-ci et l'arbitrage du Duc d'York en personne, le livre fut finalement remis au régiment (voir le texte de la décision d'York dans L'autre Sainte-Hélène, page 301). Après une simple consultation, on peut se rendre compte qu'il ne s'agissait ni plus ni moins que les mots "L'Empereur Napoléon", sûrement écrits de la main de Saint-Denis qui, bibliothécaire à Longwood, avait ainsi voulu signaler la propriété de cet ouvrage. Son écriture est reconnaissable. Même le tatillon Hudson Lowe, qui connaissait l'écriture de Saint-Denis pour avoir fait recopier tout le journal original de Las Cases (car ce fut Saint-Denis qui aida Las Cases à sa mise au propre), aurait pu s'en rendre compte d'autant que, si l'ouvrage avait porté cette "dédicace" à son arrivée à Sainte-Hélène, l'ouvrage n'aurait pas été envoyé à Longwood ! Mais, pour lui, le règlement était le règlement et rien ne devait rappeler que Napoléon fut un jour Empereur des Français. Pour le gouvernement britannique d'alors, conservateur et "ultra", il s'agissait aussi de faire oublier 25 ans d'Histoire de France, entre la Révolution, le Consulat et l'Empire. Quoique, on va presque y arriver quelques 200 ans plus tard avec la révision des programmes d'Histoire dans l'enseignement en France...! Las. La "dédicade" à l'Empereur Napoléon, au tome 2 Parmi les lieutenants du 20è régiment, il y avait un certain R.C. Oakley. Comme il n'a pas été directement impliqué dans les affaires de Longwood, son nom ne figure pas dans le célèbre Who's Who at St. Helena d'Arnold Chaplin (préférer l'édition de 1919, plus complète), ni dans Le Dictionnaire Historique de Sainte-Hélène de Jacques Macé. Pourtant Oakley a eu des rapports avec la famille Bertrand puisqu'il a enseigné l'Anglais et le Latin à leurs enfants Napoléon et Hortense. L'épouse Oakley, elle, leur enseignait la Géographie. Il semble que Madame Bertrand ait choisi de faire appel à eux car Mary Hall, la gouvernante que sa famille lui envoya d'Angleterre pour s'occuper d'éduquer ses enfants, s'était mariée avec le mameluck Ali (Saint-Denis) et avait donné naissance à une fille, Clémence, en juillet 1820. Elle ne pouvait sans doute plus s'occuper des enfants Bertrand. Or, le lieutenant Oakley a laissé un journal dans lequel il a noté tout ce qu'il considérait avoir un intérêt historique. Le journal ne couvre d'ailleurs pas que la période Sainte-Hélène, mais débute en 1812 lors des guerres napoléoniennes en Espagne. Des extraits en avaient été publiés dans les annales du régiment "Lancashire Fusiliers" dont le 20è d'infanterie est un des ancêtres. Montholon et Bertrand ont tous deux correspondu au moins une fois avec Oakley, après leur retour en Europe. Le premier avait écrit: Si vous venez en France, je serai heureux de vous voir ainsi que tout officier du 20è régiment. Je ne puis exprimer le sentiment que nous avions tous partagé quant à leur gentillesse - et ceci avait toujours été le sentiment de l'Empereur. Bertrand avait lui aussi exprimé ses sentiments en termes chaleureux: Présentez mes hommages à tous les officiers du 20è régiment. Dites-leur combien je les remercie pour leur gentillesse - Je ne l'oublierai jamais - et combien je suis désolé que je n'avais pu les voir que si peu: vous savez que ce n'était pas ma faute. Quel est donc l'officier, dont personne ne parle dans les ouvrages de la captivité, qui avait mérité de tels louages comme porte-parole de ses camarades du 20è régiment? Pour lire la suite, cliquez ici ![]() Les couleurs du 20è régiment |
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