L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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VRAI OU FAUX ?

Le temps, quelques jours avant la mort de Napoléon, était-il orageux ou radieux?



Les lecteurs du livre L'autre Sainte-Hélène ont pu lire, page 316, pour la date du 5 mai 1821:
"Quelques minutes avant six heures du soir, la tempête qui faisait rage depuis quelques jours s'apaisa et..." etc.

Un lecteur me fit remarquer que cette tempête était un mythe et que le temps était plutôt radieux, voire peut-être simplement brumeux, ces jours-là. Qu'en est-il?

Sans doute un des premiers témoins à mentionner la météo des jours précédant le 5 mai fut Antommarchi qui, dans son ouvrage Les derniers moments de Napoléon, publié en 1825, écrivit à la date du 4 mai 1821:
"Le temps était affreux, la pluie tombait sans interruption, et le vent menaçait de tout détruire. Le saule sous lequel Napoléon prenait habituellement le frais avait cédé; nos plantations étaient déracinées, éparses; un seul arbre à gomme résistait encore, lorsqu'un tourbillon le saisit, l'enlève et le couche dans la boue. Rien de ce qu'aimait l'empereur ne devait lui survivre."

Devant une telle scène apocalyptique, et connaissant le caractère quelque peu menteur du dernier médecin de Napoléon, il était juste de mettre en doute de tels propos. La contradiction la plus argumentée vint vraisemblablement de G. L. de St. M. Watson qui, dans son ouvrage The Story of Napoleon's Death-Mask, publié en 1914, consacre un chapitre aux fictions d'Antommarchi. En page 3, pour brosser le portrait du caractère menteur du docteur, il écrivit:
"Quatre historiens de Napoléon sur cinq nous disent que, du 3 au 5 mai 1821, alors que le captif était au lit, mourant, une tempête faisait rage à Ste-Hélène. C'était une fantaisie d'Antommarchi, comme tant d'autres." [1]

Et Watson alla jusqu'à mentionner les autres "historiens" qui, selon lui, aurait emprunté à la "fantaisie" d'Antommarchi, tels, par exemple, le romancier écossais Walter Scott qui, dans son ouvrage monumental sur la vie de Napoléon, parla "d'ouragan", puis Hazlitt en 1830 qui écrivit que "le fort coup de vent déracina tous les gommiers", et Watson n'oublia pas bien sûr sa bête noire, William Forsyth, l'apologiste de Hudson Lowe, qui, en 1853, décrivit une "tempête enragée et hurlante" et un "violent ouragan".

Pour preuve contradictoire, Watson mentionna les journaux de bord des navires ancrés dans la baie de Jamestown qui ne parlèrent ni de coup de vent ni de tempête mais simplement d'un temps habituellement venteux pour l'île. Et, comme témoin de la captivité, il mentionna l'ouvrage du pasteur Vernon, Early recollections of Jamaica, publié en 1848, où l'auteur exprima son étonnement quant aux assertions romancées de Walter Scott au sujet de la tempête qui aurait fait rage les jours précédant la mort du grand homme. Ayant questionné d'autres personnes sur place à ce sujet, car Vernon se trouvait encore dans l'île en 1827, il attesta que personne ne se souvenait d'un mauvais temps entre le 3 et 5 mai 1821. Faiblesse de la mémoire humaine? Vernon mentionna néanmoins un détail bien connu, que Watson sembla vouloir ignorer, à savoir que le temps à Longwood est généralement bien différent de celui du reste de l'île. Notons aussi que la rade de Jamestown est physiquement abritée contre les vents alizés, qui soufflent en provenance du sud-est, car elle est localisée au nord de l'île, encaissée entre deux hauteurs. De temps à autre, un phénomène maritime particulier de grosses vagues, localement appelées les "rollers", vient secouer les bateaux autrement ancrés tranquillement dans cette rade.

Et pourtant, le témoignage d'Antommarchi fut confirmé par un autre témoin, le docteur Walter Henry, reconnu comme plutôt honnête, dans son ouvrage Events of a military life, publié en 1843. Il écrivit lui aussi, pour la même date qu'Antommarchi:
"Le 4 mai était une journée exceptionnellement orageuse pour Ste-Hélène, où le vent souffle non seulement du même secteur mais est aussi, la plupart du temps, de force uniforme. Pendant la nuit, il augmenta en un fort coup de vent et, bien que les quartiers à Francis Plain étaient bien protégés, nos petites maisons de bois furent secouées, comme dans un tremblement de terre, et nous étions, un moment, dans l'attente d'être emportés dans le ravin voisin.
Le matin du 5 mai continua d'être très venteux et orageux." [2]


Il est impossible que Watson, écrivant en 1914, et fervent historien de la captivité de Napoléon, ait pu ignorer l'existence de l'ouvrage de Henry, qui bénéficia d'un certain succès et est toujours aujourd'hui un témoignage incontournable. Omission volontaire? Lectures sélectives? On pourrait presque accuser Watson du même délit de subjectivité dont il accusa William Forsyth !

Un autre témoignage, tout aussi important et bien plus complet que les récits anecdotiques, quelquefois oublieux, du pasteur Vernon, vint conforter l'affirmation d'Antommarchi. Il s'agit du journal secret de Gorrequer, Gorrequer's Diary, publié par James Kemble en 1969. Naturellement, Watson ne pouvait en avoir eu connaissance mais il vient renforcer l'assertion d'Antommarchi. L'auteur y mentionna en effet le très mauvais temps, à la date du 25 avril, soit dix jours avant le décès de Napoléon, sévissait déjà:
"[Le Gouverneur est] parti chercher quelque popularité aux courses [de Deadwood, sur le plateau de Longwood], malgré le temps exécrable..." etc [3]

Pour ma part, l'affaire est entendue. Le temps était très mauvais, au moins sur les hauteurs de l'île, car pas seulement à Longwood (le docteur Henry était lui dans les casernes à Francis Plain, près de Plantation House). Il est aussi vrai que le temps à Ste-Hélène peut être extrêmement changeant, passant quelquefois de bourrasques et fortes pluies à un temps radieux en l'espace de 15 minutes. C'était d'ailleurs une des plaintes de Napoléon sur le "maudit climat" car il ne pouvait mettre le nez dehors pour une longue promenade sans prendre le risque de se retrouver trempé par de violentes pluies, venues soudainement perturber le temps ensoleillé qui prévalait au départ de la promenade. Telle était une des réalités quotidiennes de sa captivité à Longwood.

En écrivant un livre d'Histoire, on est souvent confronté à des choix difficiles, à cause de sources et témoignages quelquefois contradictoires. Et d'un autre côté, on ne peut alourdir la lecture en présentant trop d'arguments sur chaque point de détail. Il faut trancher. Dans ce cas-ci, j'ai pensé que la version, apparemment bien argumentée, de Watson ne valait pas les authentiques témoignages de Henry et de Gorrequer, qui confirment que, sur ce point, Antommarchi n'avait pas menti dans son ouvrage.

Albert Benhamou
Juillet 2010

Tempête à Ste-Hélène, par Horace Vernet
Tempête à Ste-Hélène le jour du 5 mai 1821, gravure Horace Vernet

TEXTES EN ANGLAIS

[1] Four out of every five historians of Napoleon tell us that on the 3rd to 5th of May, 1821, as the Captive lay dying, a tempest was raging at St. Helena. It was a fancy of Antommarchi's, like so much else.

[2] The fourth of May was an unusually stormy day for St Helena, where the wind not only always blows from the same quarter but is also for the most part of uniform strength. During the night, it increased to a strong gale; and although the barracks at Francis Plain were much sheltered, our little wooden houses shook, as with an earthquake, and we were in momentary expectation of being blown into the neighbouring ravine.The morning of the 5th of May continued very blustery and stormy.

[3] Going to seek popularity at races, in spite of the terrible weather











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