L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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LE JOURNAL DU PASTEUR LATROBE
(suite du 28 octobre 1816)

Le temps était si doux qu'il n'y a avait pratiquement pas de ressac, qui cause parfois de grands problèmes, même à l'embarcadère [10]. Cet endroit se trouve sous de grands rochers qui s'élèvent presque à la perpendiculaire. A environ trois cents mètres sur la gauche, un pilier de ce rocher forme une arche, comme celle d'un arc-boutant. 

Pointe de la baie de Jamestown
L'arche indiquée par Latrobe

Sur la droite, le route passe sur un pont-levis, le long de la plage, vers une batterie d'artillerie lourde qui commande l'entrée du port. Sur la gauche, des entrepôts [11] et des bureaux s'étendent derrière un alignement d'arbres dont le tronc est remarquablement tordu et mal cultivé.


Les quais de Jamestown
Les quais de Jamestown

Vers le milieu de ce groupe de bâtiments, une porte admet le visiteur à l'intérieur de la ville, sans aucun contrôle, mais il doit immédiatement se rendre au bureau du maire de la ville pour s'enregistrer et déclarer sa profession.Notre première visite a été chez le capitaine Stanfell [12], l'officier de marine supérieur, agissant comme contre-amiral en l'absence de l'amiral sir Pulteney Malcolm [13]

Porte d'accès à Jamestown
La porte donnant accès à la ville

Je fus reçu avec beaucoup de politesse par le capitaine Stanfell, et, comme sir Pulteney avait offert au capitaine Forbes un lit dans sa demeure, on me proposa aussi le même logement, comme son compagnon. Pendant son absence [14], j'avais décidé de passer l'après-midi à examiner les pierres sur les hauteurs qui entourent la ville, étant à peu près certain de pouvoir me distraire pour quelques heures, lorsquel'arrivée de sir Thomas Reade, l'adjudant-général, me libéra de la charge de mes artifices. Quand il entendit parler du projet que j'avais formé, il a protesté que je ne devais pas quitter mes compagnons, mais accompagner le capitaine et M. Somerset à Plantation House pour dîner. Avec l'opposition la plus obligeante à toutes mes remontrances, il me força clairement à me joindre à la cavalcade, et nous partîmes avec l'adjudant du Gouverneur, le lieutenant Pritchard [15], tous bien montés.

La route jusqu'à Ladder Hill est raide et en zigzag, et s'il n'y avait pas un parapet d'environ trois pieds de hauteur pour la border vers la pente, la vue vers le bas serait effroyable. 

Jamestown et route sur Ladder Hill
Jamestown avec, à gauche, la route qui monte en zigzag sur Ladder Hill

Au sommet de la hauteur, une batterie contrôle à la fois la route et la barrière qui y conduisent à partir de la plaine au-dessus. La masse des rochers et des innombrables fragments couchés sur la colline portent des marques évidentes d'avoir une fois été dans un état de fusion. Les traces de cette terrible éruption, par laquelle cette île singulière a été soulevée au-dessus de la surface de l'océan, apparaissent dans toutes les directions. À droite, au-dessus de ces ravages, on nous a fait particulièrement remarquer un certain nombre de ravins, en lignes parallèles, ressemblant à des torrents de lave brûlante. Une tentative a été faite pour planter une haie de figuiers d'Inde, de chaque côté de la route, mais ils ne semblent pas bien se développer. 

En quittant High-knoll, une colline escarpée de forme conique, sur la gauche, avec un fort et poste de garde au sommet, la physionomie de la contrée change complètement de région sauvage en jardin. Les pentes de la colline sont couvertes d'herbe rase du vert le plus vif, et leurs sommets de buissons et d'arbres. 

High Knoll et son poste de garde au sommet
High Knoll et son poste de garde au sommet

Dans la plaine en-dessous, le camp du 66è régiment se présentait à nos yeux [16]. Il s'appelait le camp de Francis Plain et, comme les militaires étaient alors en parade, le son d'une musique martiale a accueilli nos oreilles, alors que nous chevauchions le long de la colline. Plantation House se trouve sur la droite, et la route s'en approche entre deux beaux pavillons, avec un poste de garde, un poste des signaux [17], et des drapeaux. La route qui mène à l'entrée principale passe à travers un bosquet. 

La route menant à Plantation House
La route menant à Plantation House

La maison est un bâtiment spacieux, face à une ouverture donnant sur la mer, et est délimitée par des collines basses, plantées avec une variété d'arbres et de buissons. Un jardin étendu et sa pelouse sont en pente douce. 

En entrant au salon, nous avons rencontré un grand groupe, principalement des officiers de différents régiments se trouvant présentement dans l'île, qui attendait le Gouverneur. J'avoue je me suis senti assez inconfortable de ne pas voir sir Thomas Reade arriver pour tenir compte de l'apparition d'un étranger parmi ces militaires en grande tenue. 

sir Thomas Reade
Sir Thomas Reade

Mais lorsque Sir Hudson est entré, et que le capitaine Forbes m'a présenté à lui, son Excellence m'a vraiment fait sentir comme le bienvenu, en m'assurant qu'il se serait senti bien blessé si je n'avais pas accompagné mes amis. À mon grand étonnement, j'ai trouvé sur place un gentilhomme avec qui j'avais fait connaissance en Angleterre, M. Brooke [18], secrétaire de la colonie. 

Sir Thomas Reade nous ayant rejoints, nous nous sommes mis à table, vingt-et-un au total. La conversation était libre, et a été menée tout au long avec l'attention la plus correcte à la bienséance. Sir Hudson a eu la bonté de me placer à côté du Secrétaire, afin que nous puissions renouveler notre connaissance. Lady Lowe était confinée chez elle depuis un mois environ, et n'a pas pu venir aujourd'hui [19]. Vers neuf heures, on se sépara et, à la lueur brillante de la lune, tous les officiers retournèrent à leur station, soit à pied ou à cheval, dans différentes parties de l'île. Sir Hudson a souhaité que nous considérions sa maison comme la nôtre.

[...]


Notes:

[10] L'île est comme une masse rocheuse posée en haute mer, et les vagues y sont dangereuses sur le pourtour; il n'y a pas de possibilité pour les navires d'accoster et tout débarquement doit donc se faire par chaloupe; l'arrivée sur l'embarcadère peut être problèmatique les jours où les vagues sont fortes; quelquefois de hautes vagues viennent s'écraser sur la jetée lors d'un phénomène appelé les "rollers"; il est bien connu que Wellington avait failli lui-même se noyer lorsque sa chaloupe chavira lors de son passage, avant de rentrer en Angleterre pour prendre le commandement de l'armée britannique engagée dans la guerre d'Espagne.

Les "rollers", ou rouleaux, sur le port de Jamestown
Les "rollers", ou rouleaux, sur le port de Jamestown

[11] Les entrepôts de l'île étaient gérés par Andrew Darling, qui était bien connu des Français à Longwood, et qui fut en charge des préparatifs pour les funérailles de Napoléon en mai 1821; il a laissé un mémoire de cette mission, texte qui a été publié en anglais et en français; Darling a par ailleurs assisté à l'exhumation de Napoléon en 1840.

[12] Le capitaine Francis Stanfell était arrivé en avril 1816 comme commandant du Phaéton, le navire qui avait emmené le nouveau gouverneur Hudson Lowe et son état-major à Sainte-Hélène; Stanfell avait toute la confiance du Gouverneur, ce qui explique sans doute son rôle de remplaçant de l'amiral Malcolm.


[13] L'amiral Malcolm s'était alors rendu à la colonie du Cap pour règler les problèmes d'approvisionnement dont souffrait l'île.

[14] Le capitaine Forbes avait été invité à dîner chez le gouverneur Hudson Lowe à Plantation House.

[15] Le lieutenant David Pritchard, du régiment d'artillerie de Sainte-Hélène, avait pour charge la garde de Plantation House, avec une batterie et un contingent de soldats.

[16] Il s'agissait du 2è bataillon du 66è régiment d'infanterie; il était arrivé à Sainte-Hélène entre avril et mai 1816, et campait à Jamestown et Francis Plain en attendant l'arrivée du 1er bataillon en provenance de l'Inde en juillet 1817; le régiment subit alors des réductions d'effectifs, certains soldats rentrant en Angleterre avec la demi-solde, et une partie remplaça le 53è régiment au camp de Deadwood, pour la surveillance rapprochée de Longwood; le 66è régiment était sous les ordres du Lieutenant-colonel Charles Nicol.

Le camp militaire à Jamestown
Le camp militaire à Jamestown

[17] L'ensemble des postes importants de l'île communiquaient entre eux par un système de signaux utilisant des petits drapeaux, ou sémaphores, comme employés entre navires à la marine; les jours de mauvais visibilité, on employait des coups de canon pour signaler une circonstance particulière, par exemple si Napoléon n'était plus visible.

[18] Il s'agissait de Thomas Brooke, un notable de Sainte-Hélène, secrétaire du Conseil; en 1808, il avait publié une Histoire de l'île, qui a été lue par les Français lors de leur traversée en mer.

[19] Lady Lowe sortait de couches car elle avait donné naissance à un fils, né le 2 octobre 1816.

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