L'AUTRE SAINTE-HÉLÈNE
L'autre Sainte-Hélène - The other St. Helena

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LES FRÈRES ARCHAMBAULT


J'ai récemment eu l'opportunité de communiquer avec des descendants des frères Archambault qui avaient suivi Napoléon en captivité à Sainte-Hélène. Leur emploi était celui de cocher et de piqueur dans le service des écuries, placé sous l'autorité du général Gourgaud. Le frère aîné Archambault s'appelait Achille, et le cadet Joseph. Leur parcours à Sainte-Hélène est généralement bien connu, alors que leur devenir après la mort de Napoléon l'est moins. Cet article apportera, je l'espère, quelques compléments d'informations qui pourront être étoffées par la suite.

Les deux frères ont suivi Napoléon à Sainte-Hélène. Ils commencent alors à entrer dans la Grande Histoire. Après l'arrivée du gouverneur Hudson Lowe en avril 1816, de nouvelles restrictions sont imposées aux captifs et, en septembre 1816, une réduction de budget obligeait de réduire le nombre de personnes attachées au service de Longwood. Quatre personnes devaient être renvoyées en Europe. Le ministre Bathurst impose à ce que le capitaine polonais Piontkowski fasse partie de ces renvois. Pour le reste, il laisse le choix à Napoléon. Après arguments avec les autorités et concertations, le choix des trois autres personnes à renvoyer se porte sur l'estafette Santini, le lampiste Rousseau et le cadet des frères Archambault, Joseph. Avec Piontkowski, ils sont envoyées à la colonie du Cap car tout départ d'un captif de Longwood devait normalement être suivi d'une période de quarantaine de quelques mois, loin de l'Europe. La raison était que le gouvernement britannique ne souhaitait pas que des Français fraîchement sortis de captivité puissent alimenter un réseau d'information sur ce qui se passait alors avec le célèbre prisonnier. Mieux valait laisser s'écouler une certaine période au bout de laquelle les nouvelles ne seraient plus "fraîches". Néanmoins cette précaution fut peine perdue car, pour des raisons qui sont exposées dans mon ouvrage L'autre Sainte-Hélène (voir pp. 96-97), l'amiral Malcolm les fit renvoyer en Europe après quelques semaines passées au Cap ! Ayant quitté l'île par le navire David le 19 octobre 1816, ils étaient de nouveau présents devant la bourgade de Jamestown, à bord du navire H.M.S. Orontes, le 18 décembre 1816, ceci à la grande surprise et stupéfaction du gouverneur Hudson Lowe ! Ce dernier se pressa de faire placer le navire à l'écart des autres vaisseaux ancrés dans la rade et, le 20 décembre, imposa aussi qu'une surveillance de nuit soit organisée par des barques de sentinelles circulant autour du navire afin d'empêcher toute communication ou visite impromptue (source : le journal de bord de ce navire, rédigé par le capitaine Cochrane).

Piontkowski
Le capitaine Piontkowski

Longwood, mis au courant de l'arrivée de ses anciens compagnons, suscita chez Achille Archambault le désir naturel de revoir son frère cadet. Le Gouverneur le lui permit, sans doute à contrecoeur, quand on constate les conditions imposées. Cette entrevue se déroula à bord de l'Orontes, le dimanche 22 décembre 1816. A son retour à Longwood, Achille raconta à Gourgaud les conditions de celle-ci, pour laquelle les autorités avaient voulu prendre toutes les précautions. Gourgaud raconta ces détails dans son Journal à cette date :

Le matin, lorsque j'étais avec Sa Majesté, Elle m'a envoyé savoir ce que disait Archambault de son frère. Il est allé avec le commissaire de police [1]. Il n'a fait qu'apercevoir Santini et Rousseau. Il a parlé à son frère sur le pont d'où on avait éloigné tous les officiers. Au Cap, ils ont été obligés de servir Piontkowski [2]. Sur leur refus, le Gouverneur [3] avait dit: "S'ils ne veulent pas, il n'y a qu'à les mettre au cachot, jusqu'à ce que leur maître vienne à les délivrer." Ils se plaignent de la nourriture du bord. (source : Archives Nationales, manuscrit 314 AP30, ff. 199 et 201, le bas du folio 199 est reproduit ci-dessous)

Extrait du journal de Gourgaud

On peut comprendre que Piontkowski, faisant valoir son rang de capitaine, ait voulu être traité comme un officier, même prisonnier de guerre, alors que les autorités britanniques voulaient le mettre, ainsi que ses compagnons de route, dans le secret d'une quarantaine. C'est d'ailleurs la recommandation que Hudson Lowe envoya au gouverneur de la province du Cap. Alors, bien entendu, quand Piontkowski demanda naturellement à ce que lui fournisse un valet, ou autre service, le gouverneur trouva naturel que les domestiques de Longwood remplissent cette fonction ! Il semble cependant que ce fut Santini seul qui fut requis à cette tâche, et qu'il refusa de le faire comme il s'expliqua à Sir Thomas Reade lors de son passage à Sainte-Hélène [4] . Concernant la mauvaise nourriture, rien de surprenant d'autant que les quatre compagnons de route ne payaient pas leur transport et étaient à la charge du gouvernment. De plus le navire HMS Orontes était un vaisseau de la Navy au régime militaire. De Longwood, on leur fit  cependant parvenir de quoi faciliter les besoins de la longue traversée à effectuer. Leur navire mit à la voile le 3 janvier 1817, quelques jours après que celui de Las Cases emportait celui-ci pour une quarantaine de quelques mois à la province du Cap.

Avant leur départ de l'île en octobre, les expulsés avaient reçu de Longwood des instructions secrètes à faire passer en Europe. Santini notamment avait emmené avec lui une copie de la fameuse lettre de remontrance signée par Montholon en août 1816 : elle donnera lieu à une publication à Londres, avec l'aide du parti d'opposition, et causa un débat parlementaire sur les conditions de la détention de Napoléon. Cette publication finit par mettre en garde les autorités britanniques et les Puissances alliées sur ceux qui revenaient de Longwood, et par compromettre la mission de Piontkowski qui était de rejoindre la famille Bonaparte à Rome pour les informer de la situation de Napoléon : le Polonais sera arrêté par les autorités autrichiennes et jeté en prison, avant d'être placé en résidence surveillée ! Elles en firent de même de Santini lorsqu'il tentera lui aussi de traverser la frontière pour passer en Italie. Pour en savoir plus sur Piontkowski et sur l'impact de la publication de Santini sur sa mission, lire l'article sur ce site: Piontkowski était-il un espion anglais? (une nouvelle page est ouverte)

Santini
Santini, tenant le document qui l'a rendu célèbre

Quant à Joseph Archambault, sa mission fut de se rendre auprès de Joseph Bonaparte, frère aîné de Napoléon, pour lui rendre compte de la situation de Napoléon, lui remettre des détails sur l'île et ses points possibles de débarquement, etc. De fait, quelques temps plus tard, une expédition sera financée par Joseph pour tenter de libérer Napoléon avec les navires du corsaire Jean Lafitte, et de le ramener en Amérique où une maison avait été préparée à la Nouvelle-Orléans pour l'accueillir. Ces plans furent cependant abandonnés mais la maison en question existe toujours dans cette ville (voir Napoleon House) !


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Notes:

[1] Il s'agissait d'un certain Rainsford, commissaire de police à Sainte-Hélène, employé par la Compagnie des Indes Orientales. Avant sa mission avec Archambault, il avait aussi mené l'arrestation du comte de Las Cases à Longwood un moins auparavant. Il mourut quelques mois après, en avril 1817. Comme l'expliqua Michel Dancoisne-Martineau dans son excellent ouvrage Chroniques de Sainte-Hélène Atlantique Sud (voir chapitre 7), cette mort sera une aubaine pour le gouverneur Hudson Lowe qui, au lieu de laisser la Compagnie nommer un autre commissaire de police en remplacement, saisit l'occasion de donner ce rôle à son bras droit, sur lequel le lecteur pourra lire une courte biographie sur ce site: Sir Thomas Reade.

[2] Dans sa version du Journal de Sainte-Hélène de Gourgaud, Octave Aubry a transcrit "serrer Piontkowski", voulant sans doute sous-entendre que le capitaine polonais était plus surveillé que les autres. Il n'en était rien. Et d'ailleurs Aubry a mal transcrit le texte manuscrit de Gourgaud qui a plutôt écrit "servir", et la suite du texte paraît alors plus claire comparée au texte transcrit par Aubry. Sur ce paragraphe, Aubry n'a d'ailleurs pas transcrit tous les détails donnés par Gourgaud.

[3] Il s'agissait du gouverneur de la colonie du Cap, Lord Charles Somerset, un aristocrate de grande famille qui a laissé un souvenir détestable parmi la population locale, et ceci jusque dans l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, au point que le gouvernement actuel a pris la mesure extraordinaire de renommer tout lieu, avenue et autre qui porte son nom ! Le fils de Somerset s'est arrêté à Sainte-Hélène lors de son passage en octobre 1816: un autre passager, le pasteur Latrobe, a pu rapporter des détails de leur séjour dans l'île, voir le journal de Latrobe

[4] Dans un rapport à Sir Hudson Lowe en date du 20 décembre 1816, Sir Thomas Reade relata en effet sa conversation en italien avec Santini à bord du navire: "Il dit qu'ils l'ont traité [au Cap] comme s'il était un cattivo suggeto (un mauvais sujet) et l'ont forcé à s'occuper de Piontkowski comme son serviteur, ce qu'il n'a pas aimé, car il est, comme il dit, un homme tout aussi bien et un soldat tout aussi vieux que Piontkowski." (source: Lowe Papers, ADD 20207 f.28)



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